Un cinéaste des profondeurs
Propos recueillis par Claudette Lambert – 1er décembre 2024
Après des études en anthropologie, Bernard Émond travaille dans le Grand Nord canadien comme formateur à la télévision inuit. On lui doit plusieurs documentaires et dix longs métrages de fiction, dont La femme qui boit, qui a soulevé l’enthousiasme de la critique québécoise. Il est aussi auteur d’un roman et de deux recueils d’essais. Toutes les œuvres de Bernard Émond sont habitées par ses thèmes de prédilection : la dignité et la fragilité humaines, et la perte des repères culturels.
Claudette Lambert : Vous avez été anthropologue, documentariste, cinéaste, écrivain, quel lien y a-t-il entre tous ces beaux métiers ?
Bernard Émond : Je dirais que c’est l’amour des histoires. Un vieux prof de philo disait à son meilleur élève : « Tu as lu tous les classiques, tu connais la Grèce sur le bout des doigts et la philo allemande, c’est très bien ! Maintenant, il est temps de lire des romans ». Parce que dans les bons romans, il y a quelque chose qui s’approche au plus près de la condition humaine, quelque chose qui dépasse en justesse les systèmes les plus complexes. Avec la bonne littérature, le bon cinéma, on s’approche des subtilités et des contradictions de la condition humaine. S’il y a un lien entre tous mes métiers, c’est ça. L’anthropologie, par opposition à la sociologie, s’occupe des petits groupements humains où l’on peut observer à l’œil nu tout ce qui se passe dans un groupe alors que la sociologie utilise des outils statistiques et s’occupe des grands ensembles. L’anthropologie apprend à regarder, à écouter, et selon moi, c’est ce qui est le plus nécessaire si l’on veut faire du cinéma ou raconter des histoires. Il faut d’abord écouter.
C.L. C’est ce que vous avez fait dans le Grand Nord avec les Inuits ? Qu’avez-vous appris d’eux ?
B.É. : Le Grand Nord m’a appris une chose importante. Face à l’acculturation et la déculturation des Inuits, j’ai appris que les cultures étaient fragiles et que la mienne l’était aussi. Il y a une telle vague d’uniformisation des cultures en ce moment, je me demande comment les petites cultures vont faire pour survivre. Bien sûr, il va rester des Inuits qui vont avoir un rapport avec une partie de leur héritage, comme nous Québécois nous allons garder un rapport avec notre passé pour un moment encore, je suppose. Disons que je suis pessimiste.
C.L. : Paulette, le personnage central de votre film La femme qui boit connaît une fin tragique. En faisant le bilan de sa vie, elle affirme : « Il n’y a rien de l’autre bord, mais je veux que les images s’arrêtent ». Dans votre présentation du film, vous dites avoir côtoyé des proches qui avaient ce problème d’alcool. L’art est-il thérapeutique ?
B.É. : Pour en parler correctement il faudrait que j’entre dans des détails assez personnels et ça, je ne le veux pas. Je pense que l’art ne guérit pas, il peut nous rendre plus conscients du monde qui nous entoure. Si l’on espère se guérir par l’art, on se conte des histoires. Un de mes professeurs de littérature me disait : « Si vous aimez assez la littérature, je ne vous dis pas que vous allez rendre votre vie plus heureuse, peut-être même souffrirez-vous davantage, mais ça va être plus intéressant ! ».
C.L. : Vous avez travaillé avec Jean-Claude Labrecque comme directeur photo sur plusieurs de vos films. Comment s’établit le rapport entre vous ? Est-ce qu’il essaie de voir dans votre tête ou s’il vous propose son regard ?
B.É. : Je pense qu’un bon directeur photo essaie d’abord de se mettre dans la tête et les yeux du réalisateur, et inévitablement, ce sont ses yeux qui regardent. J’ai travaillé avec plusieurs directeurs photo qui se sont tous mis au service d’une œuvre. Une fois, j’ai eu un collaborateur qui était rétif, qui voulait faire son film plutôt que le mien. Ce n’est pas la bonne recette. Jean-Claude, le grand cinéaste et l’homme extraordinaire qu’il était a réellement essayé de donner ce que je tentais d’obtenir. Ça va dans les deux sens. Il ne peut pas y avoir de bonnes relations entre un directeur photo et un réalisateur sans qu’il y ait un échange constant. Autant pour la technique que pour la lumière. Le regard d’un directeur photo sur les comédiens est extrêmement important. Il y en a qui n’éclairent que des surfaces… Jean-Claude était vraiment un artiste d’une grande sensibilité, qui aimait profondément les acteurs. Il avait un sens de la lumière sans pareil. Pour moi, ça a été un privilège de travailler avec lui.
C.L. : Vous dites que vous ne croyez pas en Dieu, mais vous en parlez tout le temps. Votre trilogie La neuvaine, Contre toute espérance et La donation évoquent les trois vertus théologales, foi, espérance et charité. Pourquoi aborder ces thèmes qu’on associe au religieux ?
B.É. : Pour deux raisons. La première, c’est que je suis extrêmement attaché au patrimoine religieux de l’Occident et du Québec en particulier. Il y a des richesses de sens là-dedans. Ce qui ne m’empêche pas d’être non-croyant. Je ne dis jamais « athée », car il faut avoir un sacré culot pour le dire. En fait, je ne sais pas. Pour ce qui est de la foi, l’espérance et la charité, nous nécessitons les trois. Nous avons besoin de foi dans un monde qui ne croit plus en rien et qui en pâtit, besoin d’espérance quand on voit comment va le monde. Quant à la charité, je dirais que sans charité, une vie qui a du sens est impossible. J’aime beaucoup le romancier russe Vassili Grossman, mort en 1964. Il a écrit une sorte de Guerre et paix du 20e siècle où il reprend un peu la structure du roman de Tolstoï, et dans ce roman-là, il y a un personnage extraordinaire qui ne croit plus en rien, sauf à la « petite bonté ». Ce personnage-là dans une longue tirade dit : « Je ne peux plus croire aux utopies politiques, on voit ce qu’elles ont donné. Dans l’histoire soviétique et l’histoire allemande, ces grandes utopies que sont le nazisme et le communisme débouchent sur les camps de concentration et sur la mort. Je ne peux plus croire aux religions qui finissent par emprisonner, par torturer, par nier, la seule chose en laquelle je crois c’est en la petite bonté, qui est pour moi quelque chose de totalement inexplicable, constant dans l’histoire humaine. Ce en quoi je crois, c’est l’élan d’une femme vers un soldat ennemi qui est en train de mourir de soif et qui lui donne, contre toute espérance, un verre d’eau ». Cette petite bonté-là qui vient du fond des âges, n’est pas conquérante, elle est toute petite, elle est souvent plutôt vaincue que victorieuse, mais elle existe et c’est une raison d’espérer.
C.L. : À propos de la charité, vous dites : « C’est ce qui reste quand il ne reste plus rien. Ça permet d’empêcher le désert de s’étendre ».
B.É. : Il me semble que c’est Camus quelque part qui disait qu’il fallait empêcher le désert de s’étendre.
C.L. : Dans votre roman 20 h 17 rue Darling, Gérard, votre personnage principal est journaliste. « Faire une bonne histoire avec un fait divers, dit-il, c’est fabriquer du sens avec de l’absurde. C’est la seule éternité à laquelle un mécréant comme moi peut croire ». Or, vous avez passé une partie de votre vie à raconter des histoires. Gérard, c’est un peu vous ?
B.É. : Je me sentais parfois assez près de ce personnage-là. Une vie c’est quelque chose d’incompréhensible. Notre naissance est incompréhensible, l’univers dans lequel on vit l’est tout autant quand on se met à imaginer ce qu’il faut pour créer une petite planète comme la nôtre, perdue dans l’immensité. Il n’y a probablement pas d’eau liquide à moins de quelques années-lumière d’ici, alors, ce que je vois par la fenêtre, les bouleaux, les chênes, c’est un miracle. On est dépassé par la complexité du monde, par la complexité des relations humaines, alors on tente tant bien que mal de mettre un mot devant l’autre et de faire des histoires où la vie a un sens. On essaie de donner une forme au non-sens. Dans le pire des cas, ça nous rassure et dans le meilleur, ça nous rend humbles.
C.L. : Et parfois un peu heureux quand même !
B.É. : Oh ! Je le dis souvent, la littérature ne nous rend pas heureux.
C.L. : « Raconter une histoire, c’est mettre de l’ordre dans le chaos de l’existence, dit encore votre journaliste des faits divers, c’est siffler dans le noir quand on a peur, c’est faire de la musique dans du néant ». Est-ce un peu votre vision de la création ?
B.É. : Dans le cinéma, dans l’écriture, on a l’impression de fabriquer quelque chose qui se tient. Un film, c’est une entreprise de bricolage, c’est forcément broche à foin. On se bat contre le réel, on n’a pas assez d’argent, pas assez de temps et au bout du compte, quand on a bien travaillé et qu’on a été un peu chanceux, on a quelque chose qui a une forme, qui a un sens. Ça, c’est formidable ! C’est la même chose pour un texte. Quand on travaille sur un texte, on se bat avec la langue constamment, et parfois, on arrive à fabriquer quelque chose qui a du sens et des qualités esthétiques, un objet qui fait que le non-sens ou que l’absurdité recule temporairement un peu, et on a l’impression d’avoir compris, contrôlé quelque chose.
C.L. : L’impression d’avoir laissé une trace quelque part ? D’avoir dit quelque chose qui soit utile ou significatif ? D’avoir touché quelqu’un ?
B.É. : Laisser une trace pour moi, ce n’est pas important. Il y a bien peu de génie dans une culture, bien peu d’écrivains aussi qui vont laisser des traces. Toucher, oui, absolument ! De grands pans de culture occidentale sont en voie de disparaître, des auteurs sont en train de tomber dans l’oubli, on est en train d’assister à une reconfiguration de la culture. Alors sur le long terme, toucher un spectateur après l’autre, ça c’est une chose précieuse ! Je n’ai pas voulu que mon cinéma soit compliqué, mes textes et mes films sont simples, ils ne sont pas dans l’air du temps, mon cinéma ne fait pas partie de la culture de masse, donc j’ai touché un nombre restreint de spectateurs.
C.L. : Vous êtes un peu à contre-courant des succès au box-office, mais en même temps, vos films ont été appréciés, vous avez reçu des prix, vous avez été reconnu, vous avez une notoriété.
B.É. : La notoriété ce n’est pas très important, mais effectivement, je sais que des gens ont été touchés par certains de mes films. Un jour, une femme m’a dit que mon film Pour vivre ici l’avait aidée à traverser son deuil. C’est le plus cadeau qu’on puisse me faire.
C.L. : Pierre Vadeboncœur que vous avez bien connu disait que la foi, l’espérance et la charité vont à contre-courant de l’ordre du monde impitoyable et désenchanté qu’elles traversent la condition humaine et opèrent un renversement des choses. Pourtant, on n’est pas ici dans les principes religieux, mais dans les valeurs humaines.
B.É. : C’est une chose que j’admirais chez Vadeboncoeur. Pour lui, il y avait toujours une question après une autre question. Dans un de ses plus beaux livres, Essai sur la croyance et l’incroyance, il se veut humble et respectueux devant le mystère du monde. Il voit bien que la position des athées est intenable, mais il se refuse à croire. Je me rappelle une fois, nous faisions une entrevue commune à la radio et l’intervieweuse lui demande : « Croyez-vous qu’il y ait quelque chose après la vie ? » Et après un long silence radio, il répond : « Je ne sais pas, mais je suis curieux ». Mieux vaut être curieux que certain !
C.L. : Dans votre film Le Journal d’un vieil homme, Nicolas, médecin et homme de science est face à sa mort imminente. « Je ne crois pas en Dieu, dit-il, mais j’ai l’impression qu’il me manque un élément de liaison qui ferait de ma vie un tout ». S’abandonne-t-il au mystère ?
B.É. : Il ne s’abandonne pas au mystère, il constate qu’il ne comprend rien. C’est un homme désespéré qui réalise que quelque chose lui manque. Dans la nouvelle de Tchekhov dont le scénario est tiré, il se met à envier les croyants.
C.L. : Les personnages de votre dernier film, Une femme respectable, évoluent dans le contexte religieux des années 30 au Québec alors que le clergé a un grand ascendant sur les comportements. Dans une société laïque comme la nôtre, les valeurs religieuses ont-elles encore une place ? Les religions sont-elles devenues des coquilles vides appelées à disparaître ?
B.É. : Oui bien sûr il y a une place, mais on ne peut pas vivre sans la petite bonté qui peut s’incarner dans les valeurs religieuses comme dans les valeurs laïques, sans une forme de foi, d’espérance, de charité, et pour cela, la croyance n’est pas essentielle. Manifestement, le religieux triomphe partout. On a juste à lire les informations concernant le conflit israélo-palestinien. Les valeurs religieuses sont partout, mais je ne suis pas certain qu’au bout du compte, elles soient aussi positives que ça. Il y a quelque chose dans les valeurs religieuses que l’on retrouve dans les valeurs humaines qui vaut la peine d’être sauvé. J’ai à la fois une nostalgie de la foi et une frousse terrible de la foi.
C.L. : Le message évangélique auquel vous êtes très attaché ne nous est-il pas venu par la religion catholique ?
B.É. : Parfaitement ! Mais l’Inquisition aussi…
C.L. : Vous nous avez offert un cinéma de subtilité, de lenteur et de profondeur. Aimez-vous l’être humain dans sa complexité et ses contradictions ?
B.É. : L’être humain n’est pas toujours aimable, mais je l’aime. Je pense que si l’on me donnait une autre vie, j’aimerais devenir peintre et faire du portrait. Avec des moyens très simples, le peintre arrive à cerner quelque chose de l’essence de l’être humain. Quelque chose qui ne passe pas par les mots. Je trouve parfois que la peinture a une telle vérité. Les portraits de Giacometti sont tellement extraordinaires ! Un de mes amis disait à propos de la peinture : « Un tableau est bon quand on peut dire : c’est ça! »
C.L. : Dans un documentaire, le sensationnalisme permet de séduire les spectateurs, mais il risque aussi de trahir les sujets. Où se situe la mince ligne du code d’éthique pour assurer le respect des milieux observés ?
B.É. : Se défendre du voyeurisme, devrait être en principe ce qu’il y a de plus simple. Il y a des choses qui ne se font pas, c’est évident. C’est compliqué le documentaire. Je n’en fais plus parce que je trouve ça trop complexe. Les exigences de la télévision sont telles que ça devient difficile de faire du beau travail. J’ai écouté quelques minutes des Jeux olympiques et j’étais horrifié par la mise en scène, par le spectacle. J’avais envie de voir de belles performances, et tout ce que j’ai vu, c’est du « human interest » comme disait Michel Chartrand. Quand on fait du documentaire, l’obligation morale la plus élémentaire est le respect de la vérité. Je pense que ça demande un talent et une délicatesse qu’au bout du compte je n’avais pas. Il m’arrive de regarder un documentaire et de me dire voilà un réalisateur qui a réussi à extraire du réel un peu de vérité. Évidemment, dès qu’on place une caméra devant quelqu’un, la personne se met à jouer. On filme une image et elle est forcément coupée, éclairée, montée. Et cela donne une perspective qui est peut-être bien différente de la réalité. Il n’y a pas de cinéma sans ça. Du bon comme du mauvais. Un bon documentaire dépend de la qualité de tous les choix. Pour moi, c’est beaucoup plus simple de faire de la fiction. Je crée mes histoires avec des comédiens et des équipes techniques, je ne trahis personne. Si l’on est tous bons, photos, décors, costumes, éclairage et comédiens, on va réussir à fabriquer de la vérité. Et si l’on n’est pas bon, ce n’est pas grave, on ne blesse personne.
C.L. : Vous dites que Dieu est absent, alors quelle est votre boussole ?
B.É. : L’idée de justice et celle de justesse. Même si de nos jours, la justice est galvaudée et que tout le monde revendique n’importe quoi, n’importe quand. Comment distinguer ce qui est juste et ce qui ne l’est pas dans un monde complexe ? La délicatesse de la pensée et des sentiments est une chose qui est en train de disparaître de notre culture. La sagesse accumulée au fond des âges devrait nous guider, mais elle est aujourd’hui remise en question, dilapidée. Les choses vont trop vite.
C.L. : Dans un de vos textes, vous avez écrit : « La sainteté, c’est le nord magnétique des actions humaines ». De quelle sainteté parlez-vous ?
B.É. : Il faudrait relire le superbe texte de Vadeboncoeur là-dessus, un écrit admirable d’une vingtaine de pages publié dans son livre Les deux royaumes. Vadeboncoeur déplore que cette espèce de boussole de ce qui est bien et de ce qui est mal soit perdue. Pour lui, ça ne se réduit pas à des injonctions religieuses, à une foi, à un code, mais plutôt à une espèce de sensibilité. On a besoin des saints, qu’ils soient croyants ou non, on a besoin de gens qui mettent des valeurs au-dessus de leurs intérêts personnels, on a besoin de modèles. Parmi les résistants pendant la 2e guerre mondiale, il y a eu un certain nombre de saints, même s’ils ont commis des meurtres. On a chacun nos saints. L’exemple que les saints nous donnent, c’est l’exemple de ceux qui mettent des valeurs au-dessus de leur vie même. Et je m’empresse d’ajouter que c’est exactement ce que font les djihadistes… alors il faut faire très attention à ce que l’on trouve saint !
C.L. : Comment pourriez-vous définir ce qu’est l’engagement social ?
B.É. : Plus je vieillis, plus je pense qu’il n’y a rien au-dessus de la petite bonté et que celle-ci est inexplicable. J’aime beaucoup la métaphore du péché originel. On a en nous quelque chose de noir. On a une faute. J’insiste, c’est une métaphore qui nous dit que nous sommes capables du meilleur et du pire. La possibilité du pire est toujours en nous. Mais parfois c’est le meilleur qui triomphe. Je ne crois pas au progrès. Au progrès technique, oui, comment le nier, mais là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie, du pire côté que du meilleur, car la petite bonté c’est aussi de l’hommerie. Ça fait partie de nous. Du côté des systèmes, des valeurs, je reste un agnostique radical. Mais ce qui me sauve probablement, c’est que j’aime la vie !
C.L. : Mais vous n’aimez pas beaucoup notre société de consommation, l’écart entre les riches et les pauvres, le recul des valeurs humaines, le matérialisme, vous êtes très critique par rapport à tout ça.
B.É. : Oui, mais ça ne m’empêche pas d’aimer la vie, de trouver de la beauté dans le monde, et dans les gens.
C.L. : Alors, comment soigner le tissu social dans notre quotidien, avec nos pauvres petits moyens, malgré l’encombrement de nos vies ?
B.É. : En faisant notre possible ! Nous avons des familles, on doit travailler, on ne peut pas débarquer du train. Il y a une chose que je n’ai pas dite que je trouve très importante, c’est l’importance de la gratitude envers les petites et les grandes bontés. J’habite à la campagne et je suis émerveillé par ce que je vois tous les matins. Il y a une bouffée de gratitude qui monte, je ne sais pas où et vers je ne sais qui, mais ça existe ! Il y a des horreurs, mais il y a de la beauté aussi. À la fin de ma vie, c’est vraiment ce qui me tient. Dans cet univers d’une complexité et d’une vastitude incompréhensible, on est une petite parcelle de matière avec une conscience capable de voir ça. Malheureusement, quand on est sous les bombardements à Gaza, c’est plutôt difficile à dire… J’ai lu quelque part qu’à Auschwitz, les prisonniers ne se suicidaient pas. Ça m’avait beaucoup impressionné. Je ne parlerais ni d’espoir ni d’espérance, je dirais simplement que la vie est forte !